samedi 14 juin 2014

Un spectacle affligeant




Le Festival de Cannes se ferme et laisse derrière lui un champ de rêves et d’envies cinématographiques infinies. On cite déjà allègrement Xavier Dolan et son « Accrochons-nous à nos rêves car nous pouvons changer le monde par nos rêves ». Et voilà. Tout est dit : le rêve. Le rêve de réussir, d’aimer mais surtout d’être aimé en retour, et d’avoir la chance d’appartenir à la crème de l’élite cinématographique française.

Nous sommes galvanisés. Que d’étoiles dans nos yeux et tellement de paillettes, d’envie de réussir et d’être la star de demain. Moi aussi je veux être aimé, que dis-je, adulé ! Mais ce que les stars se cachent bien de dire, c’est ce qu’elles ont enduré pour en arriver là. Je ne parle même pas des périodes de galère, de chômage, de petits boulots sous payés, quand encore ils avaient la chance de l’être ; mais plutôt de harcèlement. D’agressions sexuelles. Hommes et femmes confondus. Car oui, cela existe aussi pour les hommes et dans ce milieu, bien plus souvent que l’on ne croit.

Les comédiens et comédiennes les plus connus, sont des personnes que la majorité de la population aime, admire, prend en exemple. Mais pas seulement. Les comédiens doivent nous faire fantasmer. Car nous sommes dans le monde de l’image, du paraître. Et ça, les agents, producteurs, réalisateurs, (…) l’ont bien compris.

Je me souviens lorsque j’étais étudiante au Cours Florent, ce que l’un de nos profs avait pour habitude de nous dire : « Pour mieux vous guider, je veux savoir comment vous mangez, comment vous souffrez et comment vous baisez ». Bon, ben ça, c’est dit. Et ça, c’est sans parler des innombrables scènes de séduction, d’amour, de sex, que nous avions à travailler. Ma toute première d’ailleurs fut une scène de viol. Ah oui, c’est vrai. En fait si je me souviens bien, les scènes que l’on me demandait de travailler étaient soit des scènes où je me faisais abuser sexuellement, soit des scènes où mon personnage devait séduire un homme. Une fois même, mon prof m’a demandé de retirer mon soutien gorge car il trouvait qu’on ne voyait pas assez que j’étais excitée.

Je me pose deux questions. La première est : pourquoi devais-je toujours jouer des scènes où la femme était assimilée à un objet sexuel ? Et puis la deuxième, c’est : pourquoi les femmes acceptent-elles de jouer ces rôles si grossiers et réducteurs ? Pourquoi moi même ai-je arrêté ? Ah oui, parce qu’un pseudo-agent artistique m’a harcelée sexuellement.

Et donc, sans transition, on aborde le sujet de l’abus. Vous comprendrez ici que lorsque l’on joue un rôle, on doit aussi donner tout ce que l’on a, faire un réel travail de lâcher prise afin de pouvoir jouer ce genre de personnages. Et là, ici, à ce point précis, en ce lieu même, se trouvent les prédateurs : ceux qui se prétendent être des professionnels et qui n’attendent qu’une chose, abuser de vous !

Ces prédateurs utilisent la complexité du travail de comédien – qui joue un rôle et qui donc n’est pas censé se faire réellement violer, par exemple – pour mettre les comédiens dans ses situations humiliantes, violentes et surtout, une fois que ces derniers se trouvent dans une position où ils sont personnellement vulnérables, qu’ils se mettent en danger ; les prédateurs attaquent. Mais pas dans le jeu. Cette fois-ci, on est bel et bien dans la réalité. C’est comme ça que des comédiennes qui vont passer un casting et qui doivent jouer une scène d’amour, vont tout simplement se retrouver dans une situation de harcèlement ou d’agression sexuelle. Car cela est facile. Le comédien, la comédienne, se met à nu, dans tous les sens du terme. La personne devient vulnérable dès qu’elle doit faire un lâcher prise et se laisser guider par un réalisateur ou un metteur en scène. Et quand un prédateur sexuel se cache derrière l’un deux, alors il est très facile d’abuser et de changer des vies à jamais.

Alors ne rêvez pas trop du monde du spectacle, du cinéma ou même du métier de comédien(ne). Ce n’est pas toujours ce que l’on croit. Pour ma part, et c’est un constat consternant, je peux affirmer que la majorité des comédiens et des comédiennes que j’ai rencontré ont, à un moment donné, dû faire face à une situation de harcèlement ou d’agression sexuelle. On est bien loin des strass et des paillettes claquantes de la Croisette. Car oui, le véritable spectacle dans le monde du cinéma et du théâtre est bien trop souvent un spectacle affligeant.



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